ETERNITÉ, ou la vie de trois générations d’une famille bourgeoise dans la première moitié du XXème siècle. Pour les décors de son film, Tran Anh Hunh a fait appel à VÉRONIQUE SACREZ que nous avons interviewée.
Votre réaction à la lecture d’un scénario ne comportant quasiment pas de dialogues ?
Ce fut extrêmement agréable, comme lire un livre de Proust, puis excitant d’imaginer l’émotion à retranscrire en images, et intriguant dans sa forme. J’avais déjà vécu cette expérience avec La femme de Gilles de Frédéric Fonteyne où il y avait également très peu de dialogues.
Que souhaitait Tran Anh Hung en termes de décors ?
Il n’avait pas d’intention particulière. Son envie était d’être surpris, d’être inspiré, il attendait quelque chose. Lors de notre première rencontre, nous nous sommes tout de suite aperçus que nous parlions le même langage, que nous avions la même sensibilité.
Je lui ai présenté de nombreux documents iconographiques, photos, tableaux, dessins. La peinture de Vallotton était au début une référence pour moi, travaillant depuis toujours les couleurs dans mes décors. Ensuite, ce que Hung attendait est apparu, il m’a dit « Je vois l’image du film comme les tableaux de Vuillard ».
J’ai suivi son intention à travers le pointillisme de Vuillard.
Les personnages sont caractérisés par leur relation à l’amour et aux grands évènements, les mariages, les naissances, les décès. Dès lors, sur quoi s’appuyer quand il n’y a pas ou peu d’éléments psychologiques ? Comment avez-vous collaboré avec la directrice artistique (Tran Nu Yen Khe) ? Comment avez-vous travaillé « la sensualité » du décor ? Le choix du mobilier était important pour que les personnages aient l’attitude appropriée. J’ai demandé à Cécile Deleu, l’ensemblière, de trouver les pièces de mobilier les plus légères, les plus arrondies, les plus élancés, entre Louis XV, Leleu et Ruhlmann. « Eternité » a-t-il été tourné exclusivement en décors naturels ? Quel a été votre degré d’interventions dans ces lieux ? En préparation ou en tournage, un moment particulièrement difficile ? Et un autre particulièrement heureux ? Rien à voir avec Eternité. Un film ou une expo ou un spectacle ou….qui vous ait marqué récemment ? Photos du film © 2016 Nord-Ouest
Je me suis appuyée sur l’émotion et la sensibilité que les personnages dégageaient dans le scénario et peu attachée à leurs caractéristiques, mis à part leur niveau social et l’époque.
Suivant l’époque et l’émotion du personnage, telles couleurs, tels motifs ou telles matières s’imposaient à moi.
Ce qui a changé pour moi c’est la scénographie qui devait être fluide, j’ai conçu les déplacements par des pièces qui se succèdent et les artères de couloirs qui les relient.
Mais finalement la mise en scène est devenue plus statique, plus picturale. Le film n’est pas un récit, il décrit l’immatérialité de la vie. La géographie, l’articulation, la cohérence et les raccords avaient peu d’importance.
Cela c’est fait très librement, Yen Khe et Hung ont confirmé mes choix et propositions. Dans un deuxième temps, avec Yen Khe nous avons redéfini ensemble certains choix par rapport aux costumes. Yen Khe étant pendant tout le tournage à la face avec Hung, elle harmonisait l’alliance entre décors, costumes, coiffures et maquillage.
D’habitude je fais très attention à mon côté « très ou trop féminin », cette fois-ci j’ai pu me laisser aller ! Pour moi la sensualité du décor passait par le choix des matières, des motifs, des couleurs, les murs devaient être vivants comme une peau, brillants, mats, veloutés, doux.
Les tissus et voilages ont leur importance dans la féminité du décor ; leurs tombés, leurs transparences, leurs reflets, leurs formes ont été travaillé pour chaque personnage, le mobilier a été totalement re-tapissé.
Les fleurs ont une volupté et une poésie dans chaque scène, j’ai fait le choix de proposer à l’artiste floral Thierry Bouthémy de créer toutes les compositions et bouquets pour chaque scène.
Après une étude budgétaire de la construction des décors en studio, la production a orienté le tournage en Belgique en décor naturel.
Mis à part le Château de Voisins en France pour le récital, et le Château de Franc-Waret en Belgique pour le salon des mères, tous les décors ont été totalement retravaillés.
Tous ont été en partie reconstruits et adaptés aux époques du film en décors naturels, toutes les peintures, moulures, portes, ouvertures ...ont été refaites, les papiers peints dessinés ou réimprimés.
Aucun moment difficile, par contre beaucoup de moments heureux. Ceux des semaines de recherche artistique avec mon assistant, Damien Fleury, que nous nous sommes offerts, à arpenter musées et bibliothèques.
Ceux de ma complicité avec la chef peintre Justine Debekker pour chercher la bonne nuance. Ceux de l’excitation avec Cécile de mettre les décors en place et voir chaque objet prendre sa place.
Et puis de voir le sourire et l’enjouement de Hung découvrant le décor.
En juillet, l’exposition des Monotypes de Degas (Edgar Degas : A Strange New Beauty) au MOMA de New-York qui m’a éblouie.