Relais d’une lettre ouverte de François Ede, réalisateur, chef
opérateur et restaurateur des films de Jacques Tati et Pierre
Etaix notamment.
Films génétiquement modifiés.
Les films tournés en Scope et en 1,85 seront désormais recadrés en 14/9
(1:1,55) sur les chaînes du service public.
Jusqu’à présent les chaînes publiques diffusaient les films au
format Scope avec des caches noirs en bas et en haut de l’image
pour conserver la largeur du cadre (letterbox), ce n’était
évidemment pas la panacée, mais au moins le format d’origine des
films était respecté.
Le 21 août France 3 diffusait « Paris brûle-t-il ? » de René
Clément. Ce film tourné en Cinémascope a été mutilé par recadrage
dans un format qui n’a jamais existé au cinéma : le 14/9 ou
1:1,55 ! Le titre du générique début était devenu incomplet (on
lisait en forme de rébus : .ARIS BRULE-T...!!!). Dans certains
plans, les acteurs situés sur les bords du cadre étaient hors
champ et en voix off.
J’ai donc envoyé un mail au service des téléspectateurs de la On reste évidemment ému d’une telle volonté de nous offrir une « C’est encore vrai pour quelques années, car les copies films vont progressivement Puis est venue la « colorisation ». (On peut Mais les méfaits L’irruption discrète du format Il est clair que cette recommandation pour la Vous êtes donc invités à faire circuler ce texte le plus largement François EDE
chaîne, qui une lunaison plus tard m’a retourné cette explication
amphigourique : « Le format de diffusion de ce film est un compromis entre le
format des écrans TV actuels et le format d’origine du film. En
effet, France 3, chaîne généraliste et de service public, peut
être amenée à modifier le format de diffusion de certains films
afin que l’ensemble des téléspectateurs puisse bénéficier d’une
meilleure vision » [1].
meilleure vision ». Les vrais amateurs de cinéma objecteront que
je mène ici un combat d’arrière-garde, et qu’il faut aller voir
les films au cinéma ou dans les cinémathèques.
disparaître. Les gros détenteurs de catalogues n’auront aucun
scrupule à éditer leurs DVD, blue-ray ou films en téléchargement dans des formats adaptés à une « meilleure vision »pour mieux les vendre aux diffuseurs. Dans
le passé de nombreux éditeurs et distributeurs ont mis sur le
marché des versions « restaurées » avec un recadrage d’image, ou
un son remixé en 5.1.
citer « Autant en emporte le vent » restauré en 1,85 dans les
années 70, la version remixée de Vertigo et celle colorisée de «
Asphalt Jungle »). Qui sait encore que les premiers films parlants
étaient au format 1,20 et qu’on ne peut plus les voir aujourd’hui
qu’en 1,37 (en dehors de quelques restaurations de cinémathèque) ?
La plupart des films muets ont subi le même sort.
du 14/9 ne s’arrêtent pas là. Quand vous regarderez un film au
format classique (Academy) : 1:1,37, le rapport longueur largeur se
trouvera modifié. Pour y parvenir, il faut déformer l’image en
largeur, c’est une anamorphose électronique. On peut imaginer que
bientôt les films de répertoire seront diffusés en 16/9 comme cela
se fait déjà pour les documentaires utilisant des images
d’archives. L’image sera déformée en largeur et tronquée en
hauteur pour occuper toute la surface des écrans 16/9. Brigitte
Bardot y gagnera deux tailles de tour de hanches, et le général de
Gaulle n’en sortira pas grandi tout en perdant les étoiles de son
képi. Il suffira de quelques années pour que des catalogues
entiers d’oeuvres soient massacrés par des « restaurations »
numériques et des « remasterisations » faites au mépris du respect
des oeuvres et de leurs auteurs.
14/9, sur lequel les chaînes se sont abstenues de communiquer,
produira inévitablement ce type d’effets pervers.
Tout cela m’ayant échauffé la bile, j’ai poussé plus loin mes
investigations et j’ai appris qu’il existe une recommandation
FICAM/CST. [2] Cette recommandation (qui n’est donc pas une
obligation pour les diffuseurs), autorise de surcroît une dispense
pour les formats 1:1,85 et 2,35. Cette dispense figure en
caractères minuscules au bas d’un tableau et est ainsi formulée :
« Valeur qui peut être modifiée sur demande de recadrage spécifique
du diffuseur ».
diffusion des films de cinéma autorise les diffuseurs à faire à
peu près tout et n’importe quoi, et comme ils n’attendaient que
ça, ils se sont donc engouffrés dans la brèche. On appréciera le
caractère ubuesque d’une recommandation qui instaure une règle où
l’image de cinéma est traitée comme un chewing-gum optique.
possible parmi les organisations professionnelles de réalisateurs,
de techniciens et de producteurs. Les sociétés d’auteurs et les
ayants droits devraient se trouver au premier rang de ce combat,
car cette affaire touche au respect des œuvres et au droit moral
des auteurs.
Réalisateur et chef opérateur.
f.ede@laposte.net