HAPPY END est la première collaboration d’
OLIVIER RADOT avec
MICHAEL HANEKE. Il nous raconte les décors de ce film où s’affrontent trois générations d’une même famille.
Quelle était la demande du réalisateur concernant le cadre où vivent ces riches industriels du Nord ?
La demande s’est précisée au fur et à mesure ... comme souvent sur les films…On savait juste que c’était une riche famille du Nord qui avait gagné de l’argent en partie avec le tunnel sous la Manche, que l’entreprise de Jacques Laurent (Trintignant) était déjà l’entreprise de son père et que toute la famille vivait en quelque sorte dans la même maison qui était déjà celle de son père.
Comment décrire la demeure des Laurent ? Que devait-elle refléter au niveau de leur goût ?
Nous avons surtout parlé du nôtre, en l’adaptant à une certaine idée qu’on pouvait avoir de celui d’une famille bourgeoise du Nord et en essayant de ne pas basculer dans un mauvais goût qui nous semblait trop anecdotique, ni dans quelque chose de trop bon goût qui aurait fait "décor".
On a privilégié le coté réaliste et crédible dans la justesse de l’accessoirisation, afin de rendre la maison "vraie". On a surtout essayé de bien marquer les différences de générations entre les appartements du père (Trintignant), du fils (Kassovitz), de la fille (Huppert) tout en gardant des parties plus neutres comme les lieux de réception, le salon ou la salle à manger. L’appartement de Pierre, le fils d’Isabelle Huppert, lui est en opposition totale.
Chez les Laurent ou dans la maison de vacances, on note la présence de peintures. Ont-été créées par vous ?
Toutes les toiles et les grands paysages peints au mur (salon Kassovitz) ont été réalisés par nous. On s’est laissé entrainer par ce désir sans y mettre un sens particulier.
La maison ou vivent les Laurent, la loge des domestiques... ces lieux étaient-ils en réalité regroupés ou bien dispersés ? Avez-vous participé aux repérages, par exemple pour trouver le chantier avec cette fosse immense ? Comment aimez-vous communiquer vos intentions de décor avec vos réalisateurs ? Plus précisément avec Haneke ? Chaque décor fait l’objet d’énormément de documentation afin de chercher l’idée qui nous parait la plus juste et pour le décor et pour le film, c’est souvent au final l’association de 2 ou 3 images qui donne le ton qui nous parait juste. Après vient le temps des maquettes qui sont des montages Photoshop afin d’être le plus réaliste possible... Le mélange des deux décrit assez précisément le décor et nous permet de savoir que nous sommes parfaitement d’accord sur l’intention. Pour Happy End, un lieu, une photo, un film, une ambiance qui aurait servi de déclic et fourni une source d’inspiration ? Les films précédents de Haneke vous ont-ils fourni des pistes ? Avez-vous jugé utile de les voir ou revoir ? Haneke découvre-t-il les décors assez tard ou suit-il tout le processus de fabrication ? On l’imagine méticuleux, validant tout ce qui est à l’image... Michael n’est pas quelqu’un qui donne sa confiance facilement, alors nous avons passé beaucoup de temps ensemble chez lui et sur les repérages, puis quand on a livré le premier décor (la maison, le décor principal du film) et qu’il a été rassuré sur le résultat, tout est devenu plus simple pour les suivants. Pour finir, et rien à voir avec Happy end, un livre ou une expo ou un spectacle qui vous a marqué récemment ?
Ces lieux étaient regroupés au même endroit, mais nous avons du refaire entièrement la maison pour y recréer et personnaliser des espaces différents pour chaque membre de la famille.
Oui, et plus encore que les autres décors du film, ce chantier a été très compliqué à trouver et il a fallu le réaménager, l’organiser. Chaque repérage a fait l’objet de plusieurs visites, maquettes, études et débats avec Michael, sur la géographie des décors qui devait servir au plus près la mise en scène et leur crédibilité !
Chaque lieu de tournage devait répondre à une mise en scène précise, ce qui a conduit pour certains décors à les fabriquer en studio quand ils n’étaient pas trouvés. Par exemple la chambre d’hôpital ainsi que le restaurant de bord de mer à la fin du film et dont ni l’intérieur ni l’extérieur n’existaient.
C’est très variable et comme on dit les images valent mieux que de longs discours... alors je produis beaucoup de "documents" photographiques mélangés quelquefois à des photos d’anciens repérages (j’en ai beaucoup) ou de lieux que je trouve proches de l’idée que j’ai du décor et dont j’ai le souvenir. Ce sont pour la plupart du temps des documents qui montrent davantage une ambiance que des choses précises…
Ci-joint un document trouvé, parmi les dizaines qui ont permis de se faire une idée du bureau de Georges (Trintignant), et la maquette finale synthétisant les idées, très proche du décor que l’on a créé.
©Olivier Radot
On ne peut pas s’empêcher de revoir certains de ses films, bien sur, mais c’est en réalité plus pour se rassurer et nourrir les échanges avec lui que pour « apprendre » quelque chose du projet. De même, je ne demande jamais à mes prédécesseurs ou à d’autres techniciens qui ont déja travaillé avec un réalisateur que je ne connais pas de me fournir des pistes. Je préfère me fier à mon instinct, de ce que je ressens de la rencontre avec le metteur en scène et du projet ...
Il l’est, je le confirme ! Il vient au dernier moment avant le tournage car de son point de vue, chacun sait parfaitement ce qu’il a à faire. Il ne voit jamais les décors en cours de fabrication, seulement quand tout est parfaitement fini, jusqu’à la moindre petite cuillère ! C’est même déconseillé de lui montrer un décor en cours. Le seul décor sur lequel j’ai eu des petits soucis est le chambre de Georges, qu’il a vue en cours d’aménagement justement ! Il valide en effet chaque détail à l’image, tout doit être discuté en amont avec lui afin qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises, je n’ai effectué quasi aucun changement sur les décors après visite…
Sur le tournage, il était d’une précision implacable, je restais sur le plateau au moins au début de chaque séquence.
Un roman m’a marqué récemment, « L’homme licorne » de James Lasdun.