Ce petit point perdu dans les montagnes, c’est, comme le dit
OLIVIER MEIDINGER, un des décors faits « à la main et à dos d’âne » pour
NI LE CIEL, NI LA TERRE de Clément Cogitore.
Travaillant aussi bien pour le cinéma français que allemand, le décorateur nous raconte aussi sa formation et son métier à Babelsberg.
En plus du réalisme, quelle était la demande du réalisateur sur le plan des décors ?
Clément Cogitore voulait s’inspirer du documentaire Restrepo. La demande était, avec le budget réduit que nous avions, d’insérer l’ensemble des lumières dans le décor. Essayer que le décor soit utilisable à 360° et tout le temps.
Avec mon assistante Patricia Ruelle, nous avons fait un dossier 3D des constructions sur Sketch Up et à partir de ce moment, nous avons eu le feu vert de la production -malgré les coûts étaient plus élevés- et la pleine confiance du réalisateur qui pouvait alors voir à loisir ce qu’il s’était imaginé.
Le film a été préparé en partie à Paris pour la réalisation et la production, puis à Ouarzazate pour la décoration.
Comment avez-vous imaginé ces décors « militaires » ?
Pour ce type de décor, on a le problème qu’il n’existe pas vraiment de documents sur lesquels on puisse travailler, par exemple des plans techniques de génies militaires permettant de comprendre pourquoi là une entrée, là une tourelle...
Ce furent les images du film Restrepo et celles du photographe Tim Hetherington de l’agence Magnum qui nous inspiré, Clément et mon équipe. Ensuite, ce fut une sorte de jeu de construction avec les Hesco, sans réalisme mais avec le souci de créer des espaces et des profondeurs sur un camp en fait à moitié construit.
Dans quelles conditions ont-ils été réalisés ? On est à 45 minutes de Ouarzazate dans le contreforts de l’Atlas et déjà les lacets de la route ne permettaient pas la livraison de matériel par poids lourd. Lors de ces même repérages, nous avons essuyé une tempête avec des vents dépassant les 65 km/h. Je décidais alors que l’on ne pouvait pas faire de la construction décor mais qu’il fallait essayer de construire comme les militaires. Nous avons donc acheté des gabions Hesco en Angleterre pour ensuite les faire acheminer par bateau puis par poids lourds jusqu’au village en aval pour pouvoir les monter jusqu’aux différents décors. On a alors vraiment la sensation de voir des travaux pharaoniques, avec le lent va et vient des ânes et des hommes transportant la terre, les taules, les sacs de sable dans ce milieu de cailloux et de scorpions. Le village est-il un décor existant ? Quelles études de décor avez-vous fait en Allemagne ? Par un ami, j’ai eu vent de l’école de cinéma Konrad Wolf qui avait ouvert 3-4 ans plus tôt à Babelsberg, avec une section de scénographie pour le cinéma et la télévision. La rencontre avec le chef décorateur Alfred Hirschmeier et les premiers court-métrages m’ont fait changer de métier. L’école étant bien financée par le Land du Brandebourg, nous avions beaucoup de moyens pour faire nos preuves et s’essayer au studio, aux fonds vert ou bleu, à l’animation, à la mise en scène, au storyboard... et bien entendu à tous les métiers de la décoration, du "chef" décorateur à l’accessoiriste ou au peintre patineur. Des différences entre la pratique du décor entre la France et l’Allemagne ? Est-on là-bas plus proche d’un modèle anglo-saxon ? Il n’y a pas d’intermittence et de ce fait tout le monde fait un peu tout, sans toujours avoir le professionnalisme attendu. Les postes de régisseur d’extérieur et d’ensemblier sont souvent une seule et même personne, ce qui est un état de fait en France sur certains téléfilms. Quelques mots sur les studios de Babelsberg ? Après, c’est lourd de travailler sur Babelsberg. Ils ont beaucoup travaillé avec les américains. Le poste de chef décorateur, par exemple français, est doublé par un Coordinator et par toute une équipe locale, ce qui complique les rapports entre le chef décorateur et son équipe. Il faut tout contresigner, les plans, les changements... Un film récent allemand à nous conseiller ? * Filmförderungsanstalt (FFA) est l’organisme de régulation du cinéma allemand. © Kazak Productions
Réaliser des décors en extérieur et de grandes dimensions comme un camp militaire contemporain ou des postes de garde en milieu montagneux tient souvent des travaux d’Hercule.
Nous avions d’abord repéré une vallée uniquement accessible en 4x4. Pour des raisons de coût mais aussi de régie nous avons dû changer notre fusil d’épaule et choisir une autre zone plus accessible.
Pour le camp principal, nous avons utilisé une tractopelle mais pour les postes de garde avancés, c’était impossible et nous avons fait appel aux ânes et aux mains des hommes du village.
Ayant tourné un documentaire il y a 11 ans dans l’Azerajade en Afghanistan, j’ai été très surpris lorsque Clément m’a montré son village berbère, il correspondait si bien avec les images que je connaissais...
On l’a donc utilisé tel quel, avec certains petits réaménagements pour les intérieurs, pour les rendre utilisables du point de vue filmique.
Je suis à la base, comme beaucoup de décorateurs, architecte DPLG. Mais le travail manquait pour ce métier dans les années 90 en France, et cela m’a poussé à essayer à Berlin où Erasmus m’avait envoyé pour préparer mon diplôme. Le travail en agence ne me convenait pas, les concours pour jeunes architectes sans lendemain...
Je me suis présenté au concours qui s’effectué en 3 phases et ils m’ont pris.
Sur les films d’art et d’essai, les pratiques sont pour moi les mêmes dans le cadre de la conception et du rapport au réalisateur. Après, dans les détails, il faut savoir que l’équipe de construction et de peinture est en Allemagne une entreprise sur laquelle on n’a pas toujours la main. Il est alors plus difficile de faire évoluer la conception au cours de la construction, de même qu’avoir toujours les mêmes menuisiers comme interlocuteurs.
Depuis environ 5 ans, on a vu arriver le poste de Set Dresser, ce qui a permis de donner un peu d’air au poste de régisseur d’extérieur. Sur certains gros films, le poste de Set Decorator est aussi apparu. Une influence américaine bien venue je dirais...
Les studios de Babelsberg bénéficient de 2 points forts.
D’abord, leur sur-financement du Land Berlin-Brandenburg pour que des projets puissent être tournés dans les studios, surtout ceux avec des stars. Donc si les studios se disent co-producteurs, ils sont surs de recevoir un gros financement local.
Ensuite, le remboursement (je crois 30% ou 50%) par le FFA * d’argent étranger investi en Allemagne, des projets n’ont souvent rien à voir avec l’Allemagne ou avec Berlin.
Je trouve leur système un peu opaque et peu flexible. Ce sont les plus influencés par le système américain.
Zeit der Kannibalen de Johannes Naber. Pour moi le meilleur film allemand de 2014... J’espère qu’il trouvera aussi un public en France. Beaux décors en studio, bonne direction d’acteur, un vrai parti-pris musical, en gros un très bon film.