A l’occasion de la sortie du film d’Eric Judor,
BERTRAND SEITZ raconte cet aéroport des années 1980 réalisé en studio.
Quelle était la demande d’Eric Judor en termes de décor ?
Sa demande était claire : il souhaitait voir 2 "enfants" évoluer dans un monde d’adulte. Cela passait par une facture réaliste, mais le jeu burlesque de nos comédiens et de certaines de leurs actions (le hangar à bagage) appelait à un traitement et une esthétique particulière.
Le renforcement des perspectives, le travail sur les symétries mais aussi sur les couleurs, nous permettait de traduire une facture proche parfois de la bande dessinée, “une vision réaliste mais enfantine du monde”.
Avec Eric Judor, avant tout comédien, le dialogue était-il le même qu’avec un metteur en scène ?
Eric Judor est issu du “Stand Up” où l’improvisation est importante. Son attachement à l’espace ne porte pas seulement sur l’esthétique (Vincent Muller et moi-même avons bénéficié d’une grande liberté de création à ce niveau) mais sur les capacités de déplacements qu’il procure. En ce sens, les proportions spatiales des décors étaient auscultées à la loupe.
Sa volonté était de pouvoir travailler dans les décors avec la plus grande liberté possible, sauvegardant ainsi l’improvisation. Le découpage était donc construit dans les grandes lignes pour me permettre de déterminer les décors réduits des décors de “configuration à 360° ”.
L’action est située en 1981, une époque proche de nous mais pour autant facile à reconstituer ?
C’est vrai, cette période est encore proche de nous, mais lorsque l’on rentre dans cette réalité on constate vite qu’il s’agît d’un film d’époque à part entière. Un aéroport en 1981 est dessiné ou conçu dans les années 70.
L’exercice imposait donc un contrôle continu sur toute l’accessoirisation des décors. Le seul “avantage” que nous avions était le caractère technique des lieux que nous avions à traiter, car lorsque l’on parle de “tunnel à bagage”, de “hall de tri” ou encore de “capsule de centrifugeuse”, ce sont des lieux peu connotés dans l’inconscient collectif et donc interprétables. La palette était donc assez large.
Vous êtes-vous inspiré de décors de bande dessinée, cinéma, autre… ?
Je ne me suis pas inspiré directement de BD, l’idée était plutôt d’aller chercher l’esthétique architecturale des années 70/80. Le mobilier, les textures de ces années étaient aussi importantes.
Lorsque l’on voit par exemple l’esthétique informatique des années 85, on constate que cet univers a évolué à une vitesse supersonique ! Bien évidement, j’ai beaucoup regardé les films de cette époque, leurs teintes notamment : “la grande époque du Kodachrome”.
Quelques mots sur les trucages de décor ? Par exemple, la grande découverte de nuit ?
Si nous pouvions développer les intérieurs en Studio, les extérieurs posaient problème, du fait de l’époque. Nous avons néanmoins choisi de ramener l’extérieur du toit de la tour de contrôle en studio pour un confort de tournage et de préparation acceptable, l’hiver Flamand est rude en extérieur !
La séquence étant de nuit, il nous était possible de développer une découverte de l’environnement sans avoir besoin d’une grande profondeur. Une toile photographique tirée sur coton et retouchée par notre peintre décorateur (obtenir des noirs profonds en impression coton est une gageure !) fut une bonne base sur laquelle nous avons installé des réseaux de diodes électriques, pour simuler des actions d’allumage ou d’extinction de pistes et rehausser les flairs de l’environnement urbain.
Mais pour les vues extérieures de la tour de contrôle, nous avons choisis de travailler en incrustation de matte, seule solution pour recréer la chute “ à la pakistanaise” de Ramsy le long des vitres… De même pour l’animation de la centrifugeuse en début de film.
Par contre, Eric souhaitait travailler le plus possible avec des effets mécaniques en direct sur le plateau, le sang, les effets de centrifuge, les vols etc...Cela donne un aspect “bricolé” un peu façon Méliès, soulignant ainsi la dimension burlesque des situations.
Vous avez tourné aux studios de Lint en Belgique, apparemment pas tout à fait adaptés à ce projet. Quel type de studio aurait été idéal ?
Lorsque l’on parle de studio de tournage de fictions, cela implique non seulement un certain nombre de surfaces techniques annexes au plateau (menuiserie, sorbonne stockage, bureaux etc) et d’équipements spécifiques, mais surtout des surfaces de tournage avec proportion de volumes adéquates (hauteur en fonction de la profondeur).
Lint ne propose pas ce type d’équipements ; si certains plateaux peuvent développer jusqu’à 55Ml de longueur, la hauteur (sous des ponts difficilement démontables !) est de 7,5Ml.
Y développer des décors sur praticables devient problématique. Par ailleurs il n’y a pas d’équipement annexes, le coût d’installation de l’équipe est donc fortement impacté. Enfin, si les bureaux sont vastes ils sont aveugles, privés de lumière du jour, ce qui pour dessiner durant 3 mois n’est pas l’idéal !
Lint est le prototype de ces surfaces industrielles restructurées pour une nouvelle activité, les limites sont dictées par l’architecture de départ et on aboutit souvent à un outil de travail imparfait. Toutefois c’est le seul, à ma connaissance, qui dispose d’un éventail de tailles de plateaux assez varié, et c’est bien évidemment ce qui le rend attractif.…