Caméra d’Or au dernier festival de Cannes à JEUNE FEMME de Léonor Séraille. VALERIE VALERO (ADC) revient sur les décors de ce film devenu « Montparnasse Bienvenue » en anglais (!) et actuellement au cinéma.
Qui est cette jeune femme ?
Paula est une jeune femme qui se retrouve à Paris, seule, sans boulot, sans logement, après avoir vécu dans un milieu protégé au Mexique. Elle fait des rencontres, traverse divers milieux sociaux, différentes atmosphères, s’adapte, crée des liens. Le film est une sorte de road-movie qui raconte la précarité et l’errance, avec brio. Dès le début, Léonor Séraille m’a parlé de Sue perdue à Manhattan (Amos Kollek, 1997), où l’héroïne ressemble à Paula, suivie de près dans New-York par une caméra à l’épaule.
Dans Jeune Femme, les décors se succèdent et vont de l’appartement haussmannien chic à la chambre de bonne, au pavillon de banlieue et aux différents lieux où Paula travaille. Ils sont nombreux et souvent vus rapidement, il devenait important pour nous de bien les différencier, de raconter avec justesse ces différentes classes sociales qui se côtoient à Paris. J’ai proposé de travailler les fonds et d’installer une couleur qui raconte quelque chose différent pour chaque décor.
Par exemple ?
Par exemple, le rouge sang de bœuf de la fête, où elle rompt avec sa famille. A ce rouge, succède le vert plutôt acide de l’hôpital, inspiré de « Urgences » de Depardon où on retrouve souvent cette couleur. Son ex-copain photographe vit dans un appartement du Marais, noir, blanc et gris, comme le restaurant où ils se retrouvent. Les moments calmes du film sont souvent sur fond bleu azur. Les cheveux roux de Paula, son manteau brique et son personnage haut en couleur ont aussi été des sources d’inspiration pour installer des teintes siennes brûlés, des jaunes d’or dans les scènes joyeuses.
Ainsi par les ambiances colorées, les patines et la lumière d’Emilie Noblet, nous avons voulu raconter le parcours de Paula, sa « galère » à travers ses différents jobs, ses relations compliquées avec son ex-copain ou sa mère. Le film étant une succession de séquences, il fallait aussi penser chaque couleur en fonction de la scène qui précédait et de celle qui suivait…
Nous avons transformé beaucoup de décors, il fallait agir rapidement, en repeignant ou parfois en tendant des tissus. J’étais présente aux essais caméra et essayais des teintes derrière les acteurs pour voir comment ils réagissaient avec les costumes.
Quelles contraintes avez-vous rencontré ? Paula est souvent montrée confrontée au monde du travail. Quelques mots sur le stand qu’elle tient dans le centre commercial ? La Caméra d’Or reçue cette année à Cannes a du être comme un cadeau ? Vous y étiez présente également pour un autre film, le documentaire « Becoming Cary Grant ». Un film, une exposition, un spectacle ou un livre qui vous aurait marqué récemment ?
Jeune femme est un premier long-métrage. Quand on a un budget très réduit, la marge de manœuvre est plus limitée, mais l’équipe a porté le film, parfois même au sens propre : tout le monde a aidé l’équipe déco lorsque nous avions besoin de bras pour monter le « bar à culottes » !…
Et heureusement, l’entraide a beaucoup joué : un grand merci en passant à William Abello (ADC) qui a nous ouvert son espace pour peindre, son stock et un de ses bureaux où nous avons même pu tourner une scène. Nous étions une petite équipe, quelques « jeunes femmes » à la tête de chaque poste, très motivées et soudées autour de Léonor, de sa gentillesse et de sa détermination à réaliser ce film. Nous étions inspirées également par Laetitia Dosch, son investissement, son inventivité qui à chaque prise nous surprenait ou nous émouvait.
Dans le scénario, ces séquences se passaient dans un grand magasin de sous-vêtements, mais la semaine précédant le tournage, nous n’avions toujours pas de lieu. Par contre, le centre commercial de Montparnasse nous accueillait. Il a fallut réagir très vite. D’où l’idée de Léonor de créer ce « bar à culottes » devant les escalators et d’imaginer que le magasin était au-dessus.
Dans le scénario, Paula est sous surveillance et subit la pression d’un management « musclé » dans son oreillette, j’ai alors pensé de décor comme une cage, cherché une joliette et accroché les sous vêtements à des cages à oiseau. L’endroit n’était pas idéal mais le résultat est finalement plus original que si l’on avait tourné dans une vraie boutique de sous-vêtements.
Oui, quelle joie pour Léonor, Laëtitia et nous tous (tes) ! D’ailleurs, pratiquement toute l’équipe était présente à Cannes et heureuse de s’y retrouver !
Et les deux films étaient présentés le même jour ! Ce fut aussi une belle aventure humaine que cette rencontre avec le réalisateur Mark Kidel et l’équipe de YUZU Productions
Terrasse à Rome de Pascal Quignard qui raconte la vie errante d’un peintre de jadis à la recherche de sa lumière intérieure. L’écriture est magnifique, forte comme la gravure, les images sortent de la nuit et sont très inspirantes.
Plusieurs films m’ont marqué dernièrement mais pour en citer deux : 120 battements par minutes de Robin Campillo et La Villa de Robert Guédiguian.
Ils réussissent à parler de causes graves avec amour, à raconter des histoires universelles sans tomber jamais dans la sensiblerie. Deux très beaux films engagés et humanistes, qui nous éclairent et résonnent longtemps après.