Frank Schwarz, chef décorateur, répond aux questions de l’ADC, à l’occasion de la sortie du film L’homme qui rit, de Jean-Pierre Améris.
Comment abordez-vous la lecture d’un scénario ? Quelles sont vos sources d’inspiration ? Comment exprimez-vous vos idées ? En quoi avez-vous changé depuis vos débuts ? Un décor qui vous a fait rêver ? Votre plus belle aventure ?
Aujourd’hui grâce à mes lunettes, et sans à priori face à la première lecture. C’est celle qui me permet de découvrir l’histoire que nous allons partager. Souvent je me fais la réflexion : et si j’avais la faculté de brancher une imprimante à mon cerveau, les images qui en sortiraient seraient les plus « justes », les plus essentielles. J’attache donc une grande importance à ce premier contact. Les lectures suivantes seront moins intuitives, plus « techniques ».
Vaste question ! Surement nombreuses, l’âge aidant (rires). Pour être honnête, au départ je fais appel à mon vécu, les images, les photos, les livres, les films bien sur que j’ai croisé et qui m’ont fortement marqué. Ces références vont permettre de les comparer à celles du réalisateur, du chef opérateur pour construire « l’image » du film. Un film est une œuvre commune, un partage d’inspiration.
J’exprime essentiellement mes idées à travers le dessin. Jeune, j’ai eu la chance d’avoir le temps d’apprendre le dessin, la peinture. Il y a pas une semaine sans que je crobarde pour le plaisir, mais quel plaisir aussi d’avoir les moyens de s’entourer de bon dessinateurs qui vont vous aider à enrichir le processus créatif. Je ne conçois ce métier que collectivement.
Sans doute l’expérience. Cette profession est riche d’expériences et je me sens aujourd’hui bien plus serein lorsque j’aborde un film. Mais restons honnête, intérieurement, je suis plutôt angoissé et me nourris de cette sensation dans mon processus créatif.
En trois mots, cinéma, télévision quelle différence ?
Au fond, l’approche créative que j’ai face à une fiction télé ou un long métrage diffère peu hormis le fait que les deux médiums soient différents. L’image projetée de l’un fait 180m2 et l’autre à peine 1m2. Fatalement, le souci du détail ne sera pas le même.
Vos expériences à l’étranger ?
Beaucoup, certaines pour de bonnes raisons et d’autres pour de moins bonnes.
Malgré le fait que je trouve regrettable d’aller à l’étranger pour s’enfermer dans un studio, j’adore ces rencontres avec l’autre. Partager nos différences sur la culture, le cinéma, l’autre manière de construire, de patiner un décor. Cela m’a appris à faire confiance.
Un film qui vous a marqué ou influencé ?
Impossible de répondre à cette question. Mais le cinéma de Stanley Kubrick m’a fortement impressionné. Choisissez pour moi celui que vous voudrez en oubliant les deux derniers. Il en reste encore onze !
Allez au hasard, Metropolis pour être original ! Pour anecdote, à 22 ans je n’imaginais pas une seconde que je travaillerai dans les décors de cinéma et je me suis retrouvé dans les studios de Boulogne au moment du tournage du film de Blier « La femme de mon pote ». Je me souviens avoir pris une grosse claque en découvrant l’intérieur du chalet, la gigantesque découverte de chaîne de montagnes en toile peinte, les sculptures, les « œufs » en modèles réduit et les figurants descendant la fausse piste de ski. Par la suite, j’ai beaucoup étudié les décors de Théo Meurisse.
Chaque film est une très belle aventure pour des raisons diverses. Le bonheur que j’éprouve lorsqu’un réalisateur me confie la décoration de son film implique que c’est à chaque fois une expérience précieuse et unique. Bien entendu, certain films feront plus particulièrement la part belle à l’image, aux décors et c’est le cas du film de Jean Pierre Améris « L’homme qui rit ».
Quelques mots sur L’homme qui rit, de Jean-Pierre Améris ?
Il faut d’abord parler de Jean-Pierre avant de parler de « l’homme qui rit » car il avait ce film en tête depuis toujours, agrémenté d’un scénario magnifique. La préparation fut exemplaire en terme de production. Beaucoup de concertation entre réalisateur, chef opérateur et chef décorateur. Au final, nous avons peu parlé de décors mais énormément de mise en scène, de scénographie. Après nous avoir dit qu’il ne voulait pas ancrer son film dans l’époque mais au contraire nous laisser la possibilité de grosses digressions temporelles, il nous a laissé carte blanche tant sur les costumes que sur les décors. Sans le dire, c’était : mes amis, prenez vos responsabilités, moi vous me retrouverez pour le tournage. Ce film, un travail d’équipe, un vrai partage, une belle histoire.