PARTIR UN JOUR, le film d'Amélie Bonnin, a fait l'ouverture du Festival de Cannes. Sa cheffe décoratrice Chloé Cambournac (ADC) nous raconte la préparation et le tournage.
Comment avez-vous travaillé avec la réalisatrice ?
Amélie Bonnin est une grande amatrice de nourriture et elle adore découvrir des univers. Pour aborder Partir un jour, elle avait fait avec Dimitri Lucas, co-auteur du film, un grand tour des restaurants routiers de l’Ouest du pays, dans la continuité de son court métrage (ndlr, Partir un jour, réalisé en 2021 avec les mêmes acteurs principaux).
A partir de toute cette documentation, on s’est assez vite mise d’accord sur l’atmosphère et l’esthétique du film. On a pioché un peu partout dans cette matière pour ne garder que ce qui nous semblait appporter une touche de poésie, de nostalgie, de terroir, pour raconter les mythiques restaus routiers. Nous cherchions un lieu ouvert, convivial, avec un rapport bar / cuisine / salle qui fonctionne avec l’idée de la fluidité de la mise en scène. Le jardin à l’arrière du batiment à été un plus.
Le film ayant reçu le soutien de la Région Grand-Est et de l’Eurométopole de Strasbourg, on a donc réorienté nos recherches et trouvé cet hôtel-restaurant, Chez Serge, situé entre Saint-Dizier et Vitry-le-François,, fraîchement repris par José, Maria, et leur fils Anthony, tous trois dans les métiers de la route et désirant se lancer dans une nouvelle aventure plus stable. Dans la vie, les parents de cette famille étaient un peu comme les personnages du film, à la retraite mais sans vouloir arrêter de travailler.
Leurs envies de déco n’étaient pas du tout les mêmes que les nôtres… La famille a accepté notre présence, ce qui n’etait pas forcément évident car les routiers ont des habitudes, des arrêts qu’ils apprécient, et si le restau fermait, les propriétaires auraient pu recevoir des avis défavorables…. Nous avons opté pour une fermeture minimale.
Quel était l’état initial de ce restaurant routier ?
C’était un grand bâtiment à deux étages qui avait subi un gros dégât des eaux, il était donc en attente de la prise en charge des réparations. Au premier étage, il y avait un petit appartement de fonction totalement vide de ses meubles, et plus loin, des chambres d’hôtel pour les routiers, les unes à côté des autres, et qui ont servi de bureaux de production.
On a donc travaillé des couleurs, proposé des tissus, en intégrant les propriétaires à notre process de décision, ce qui a permis d’estimer ce que l’on allait devoir remettre en état à la fin.
Puis, on a repeint les deux salles du bas et le bar, réagencé la cuisine, repeint et remeublé l’appartement pour l’adapter à la famille Béguin. L'ensemblière Marine de Lamarzelle a fait un très joli travail dans la chambre de Cécile (Juliette Armanet). Même si on ne voit finalement que peu de pièces de cet appartement, c’est sans regrets. Il est parfois important d’en faire un peu plus en décor, si on le peut, pour que les lieux aient une petite âme et que les comédiens s'y sentent bien. On a pas mal puisé dans les éléments présents sur place pour tapisser et meubler ces pièces prévues en découvertes.
Sur ce film tourné en décors naturels, avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
C’est étrange qu’on ne l’ait pas anticipé, -sauf bien sur Remi Chanaud, le chef operateur son- mais le plus gros "dossier", mis a part la partie "cuisine", a été… le son ! Sur le papier, lire les mots : Une salle, dans un restau routier paraît évident à comprendre, mais en réalité il fallait lire : Une salle, dans un restau routier, au bord d’une nationale ultra passante avec des camions lancés à 90 km/h….!
Impossible de faire fabriquer et poser des doubles vitrages sur les 12 fenêtres de la façade au rez-de-chaussée dans le temps imparti…. On a donc tenté une double approche, faire ralentir la circulation, un dossier pris en charge par la régie, et fabriquer, sur le principe du double vitrage, des cadres en plexi épais créant un "vide d’air" amortissant le son. Le chef constructeur Théo de Montalivet et son équipe les ont fabriqué, et ça a marché. On a placé ces caissons à l’extérieur, coincés dans l’encadrement. On pouvait même ouvrir les fenêtres sans se rendre compte de rien. C’était un peu expérimental mais ça a bien fonctionné, on a pu tourner en son direct.
En dehors de l'appartement, quelles ont été vos interventions dans le restaurant ?
Sabine Barthélémy, la cheffe peintre, a fait un gros boulot dans les espaces intérieurs et en façade. La grande salle était beaucoup trop profonde, un châssis a été construit dans sa largeur pour la réduire dans la profondeur et permettre de créer un espace de stockage. La fresque de paysage italien, qui amenait une certaine poésie, à été peinte par Roxane Bassoli Loiseu.
Par rapport a la restauration que souhaitaient les propriétaires, on a réfléchi avec Valentine Dubus Ventura, première assistante déco, à utiliser des matériaux un minimum pérennes pour leur laisser après le tournage. Et s’ils n’avaient finalement rien voulu garder, c’aurait été comme une “couche de frais”. Ils ont presque tout conservé…..C’était assez fou à quel point les propriétaires de ce restau ressemblaient au personnages du film. Ils avaient même leur propre camping-car dans le parking à côté du restau !
Avec ce camping-car, la vraie vie est rattrapée par la fiction. Vous l’avez donc intégrée au décor ?
En réalité, il ne convenait pas tout à fait à ce qu’on cherchait, et puis, à cause des travaux, les propriétaires se reposaient parfois dedans… Il y a quand même des limites à s’introduire dans la vie des gens !!!!
La production a obtenu un partenariat avec une marque de camping-car, qui nous a mis un véhicule à dispositon. Nous l’avons un peu accessoirisé, et placée à l’arrière du restaurant pour réduire les problèmes du son. Ce partenariat ne nous a pas semblé être en opposition avec le scénario, car on imaginait que Fanfan (Dominique Blanc) l’entretenait, le protégeait, en rêvant de partir en voyage, un jour. Ce n’était donc pas irréaliste qu’il soit un peu neuf.

Le restaurant a-t-il été rebaptisé pour le film ?
Oui, de Chez Serge il devait devenir JAM 7, mais est devenu…. L’Escale. On a décidé avec David Cailley, le chef opérateur, d’utiliser une enseigne en vrai néon. L’enseigne L’Escale a donc été fabriquée, pour donner cette intensité de lumière rouge si particulière qui teinte la chambre de Cécile. Seul le néon horizontal sous la toiture existait. Le caisson lumineux en applique sur la façade avait lui, des parois amovibles, pour que les propriétaires puissent le réutiliser quelque soit le nom futur du restau. Peut-être ont-ils laissé L'Escale !
Le film démarre avec la scène dans le restaurant de Cécile (Juliette Armanet), situé à Paris.
La région Grand-Est et l’Eurometropole de Strasbourg soutenant le film, il nous a fallu chercher, et trouver, à Strasbourg un restaurant qui devait ressembler à un restau parisien. Ca été le cas avec Le Déjà, fraîchement etoilé au Michelin, tenu par Jeanne Satori et David Degpursy . Nous sommes assez peu intervenu car il correspondait exactement au scénario.
Comment ont été gérées les scènes de cuisine, la préparation des repas ?
Principal dossier du film, en déco: le double design culinaire : les plats « traditionnels » familiers servis à l’Escale, le restau routier, et le plat "signature" que cherchait Cecile pour l’ouverture de son restaurant parisien.
Emilie Lecoq, notre accessoiriste de plateau, avait fait partie de l’équipe d’accessoiristes du film La Passion de Dodin Bouffant. Son expérience était très précieuse pour notre film.
Une fois les plats imaginés par la réalisatrice et une cheffe parisienne, il a fallu dresser la liste de ce qu’il nous fallait……les bons ustensiles, les bons produits en quantité suffisante et sans gâcher, apprendre les bons gestes et enfin dresser les plats. La problématique des prises multiples a nécessité l’installation d’un deuxième poste “cuisine” proche du plateau, et fonctionnant hors cadre, pour fournir les divers plats en temps et en heure. La tâche était complexe, et Audrey Boitel, qui était régisseuse d’exterieur sur le film, a chapeauté formidablement cette partie, et je la remercie car la cuisine est un métier à part, et je trouve que ce qu’elle a fait est très crédible, très réussi..
Partir un jour est un film en partie « musical ». Y-a-t-il eu une volonté de stylisation en termes de lumière ou de décor?
David Cailley souhaitait travailler en pellicule, mais cela n’a pas été possible. Les essais caméra ont cependant été tournés en 16mm et nous avons pu tester un certain nombre de couleurs pour comprendre leur réaction à la LUT, un réglage des moniteurs, qui se rapprochait du rendu final de l’image du film une fois étalonné.
Les variations des teintes étaient spectaculaires. Par exemple, tout ce qui était violet apparaissait gris, les jaunes devenaient kakis. Il fallait donc travailler de manière empirique pour trouver les couleurs des murs, des textiles, se projeter abstraitement pour espérer arriver à ce qu’on voulait à l’image. Il nous a parfois fallu “forcer” les tons, ce qui en les rendaient un peu "moches" à l’œil nu, mais plaisants au rendu final.
David a beaucoup travaillé, y compris en post-production, pour amener ce grain qu’on sent à l’image, un grain un peu à l’ancienne, celui du souvenir.
Le film comporte quelques décors extérieurs, dont celui de la “fête de l’étang” et du “motocross”.
Après de grosses difficultés de repérages, liées aux nombreux couloirs aériens autour de Strasbourg, nous avons finalement trouvé un plan d’eau municipal convenablement orienté et qui allait devenir notre futur lac. Audrey Boitel a fait un travail impressionnant pour trouver un pisciculteur et fournir la partie de pêche. Ensuite, on a contacté des gens qui travaillaient sur les marchés, pour qu’ils acceptent de nous mette à disposition leurs marchandises, pour ensuite les disposer sur les stands que nous avions recomposés avec de vrais éléments forains.
Pour la séquence du motocross, nous avons travaillé avec des vrais amateurs de motocross qui nous ont amené leur matériel. Nous en avons ensuite organisé la scénographie, les divers éléments graphiques et les accessoires.
Un autre décor intérieur important est la cabane ou les anciens copains se retrouvent.
La cabane existait, elle était très charmante, nous l’avons totalement remeublée. Grâce au goût et à la finesse du travail d’ensembliage de Marine de Lamarzelle, elle semblait hors du temps. Le seul point noir: les moustiques qui s’en sont donnés à cœur joie toute la nuit…

Un dernier mot avant de … partir ?
Le film a été très harmonieux dans sa fabrication. On a eu beaucoup de chance de tomber sur des propriétaires aidants, que ce soit à L’Escale, au restaurant Le Déjà, la municipalité du lac, le décor du garage ou bien celui du motocross. Les gens que nous avons rencontré en Grand-Est ont été très accueillants.
Grâce au travail conjoint des repéreurs de la région, soutenus par le travail de Marc Cohen, le directeur de production et Gaël Iannantuoni, le régisseur général, tous les decors ont été trouvés. Il suffisait ensuite de rajouter dans le décor de restaurant routier un bon babyfoot…. et tout le monde s’est senti a l’aise…!!!!!