A la vie, de Jean-Jacques Zilbermann est sur les écrans, les décors sont de Valérie Grall et on la remercie d’avoir joué au jeu du questionnaire. Le déclic qui vous a fait aller vers le cinéma ? Une femme chef déco au milieu des années 1980, plutôt rare…Difficile de s’imposer à ce poste à l’époque ? De film en film, vous avez adopté une méthode ou des habitudes pour imaginer les décors ? Télévision ou cinéma, pour vous une vraie différence ? Que dites-vous aux jeunes qui vous contactent pour faire ce métier ? Depuis vos débuts, sur une préparation ou un tournage, un beau souvenir... …et un moment difficile ? Un film, une expo, un spectacle qui vous a fait rêver récemment ? Si vous n’aviez pas été décorateur (trice)... Quelques mots sur les décors de A la vie, situés en 1960 ?
Les rencontres. La confiance de mon frère ainé qui était assistant réalisateur, qui pensait que j’avais du talent. Il m’a donné des coups de pieds aux fesses. Cela a été efficace car j’ai été une bonne assistante et rapidement investie de la responsabilité du décorateur. On peut appeler ça un déclic.
Non par chance, et curieusement les deux personnes qui y ont vu un inconvénient était exactement celles dont on n’attendait pas qu’ils y soient opposées.
Une fois, c’est une réalisatrice qui a jugé qu’elle ne pouvait pas travailler avec une femme enceinte (je l’étais de deux mois), et un réalisateur engagé à gauche qui n’arrivait pas à imaginer ce métier au féminin…(il ne savait pas en quoi consiste ce métier et l’imaginais, mais mal).
Aller au plus loin du "goût" du film pour tenter de produire avec le metteur en scène un style.
Non aucune. Et je suis contente que Bruno Dumont nous prouve qu’il n’y en a pas. Fabriquer des films intéressants et créatifs pour la télévision, c’est un superbe combat auquel je suis très heureuse de participer et nombreux sont les metteurs en scène qui le mènent.
Qu’il faut avoir de la curiosité. S’intéresser à la recherche des formes dans le domaine du cinéma certes, mais aussi des arts plastiques, de la danse, du théâtre, de la musique, de la littérature, de l’architecture. Tout est lié.
La recherche du "Docteur Boat" sur le port de Manille en compagnie de Jacques Perrin pour une série qu’il avait initiée sur les Médecins du Monde : une gageure quasi impossible.
Les plus beaux souvenirs sont souvent liés aux paris les plus fous, aux metteurs en scène ambitieux et aux productions qui arrivent à les gérer avec malice et engagement.
Les plus mauvais sont liés aux malentendus. Quand le producteur est contre le metteur en scène. Les techniciens sont pris en otage.
Je recommande de voir le travail Markus Retz. De marcher la nuit dans les villes, d’écouter le silence. L’opéra de Martin Crimp. Pelleas et Melisande. Pommerat au théatre. Le minimalisme d’Aurelien Bory. Le regard de Pierre Huyghe etc…
Plasticienne, architecte...écrivain ? Mais je crois qu’il est illusoire de penser qu’on choisit un métier comme on choisit un caramel dans une vitrine. On essaye de se diriger vers ce qu’on aime sans doute, après il faut savoir lever ses propres inhibitions, or ça c’est un vrai travail.
J’ai pensé à Jacques Tati, maître inégalé. Parfois on l’effleure dans la reconstitution de Berck-Plage des années 60. Nous avons trouvé chez un restaurateur qui est devenu un ami de très beaux documents d’archives, très émouvants.
Nous n’avions pas les moyens d’une reconstitution phénoménale et nous nous sommes restreints à une zone de champs sur le front de mer. Parfois ça dérape vers une imperfection esthétique car nous sommes toutefois dans des décors naturels contemporains, mais ces touches contribuent à l’intention de scène théâtrale que j’aime bien.
Le léger décalage qui me semble indispensable quand on collabore à une narration certes réelle (l’histoire est celle de la mère du metteur en scène), mais réinterprétée à travers les yeux du cinéaste (le choix de Berck-Plage) et les contraintes du cadre filmique.