Une brume toxique envahit soudainement Paris. Dans un immeuble, un couple essaye de survivre et de protéger leur fille malade, isolée du monde extérieur par une « bulle ».
Dans la brume est sorti début avril, un film de genre signé Daniel Roby aux décors créés par
ARNAUD ROTH (ADC).
A la lecture du scénario, quelles images vous viennent à l’esprit ?
Étrangement, c’est d’abord au son que j’ai pensé et plus exactement à l’absence de son. Une fois que la brume a attaqué Paris, il n’y a plus de vie au niveau de la rue, j’ai donc imaginé le silence. Un Paris silencieux qui m’a fait penser au travail de deux jeunes photographes talentueux, Lucie & Simon, et à leur série de photos de villes entièrement vides (dans Vertiges du quotidien / Actes Sud). Je n’ai pas voulu voir le film The Mist, par contre j’avais vu l’épisode de la série The Crown avec Londres envahi par le brouillard.
Finalement, les images qui m’ont le plus accompagné sont des souvenirs d’enfance. La campagne dans la brume. Ce côté magique et « hors du temps » qu’on peut éprouver lors des matinées embrumées, à la campagne ou en Bretagne au bord de la mer. Mais très vite il est apparu, assez paradoxalement d’ailleurs, que la brume n’était pas mon sujet. Elle serait gérée par les SFX ou les VFX. Notre sujet, c’était Paris et l’environnement de nos héros.
Daniel Roby est canadien, quel Paris voulait-il montrer et comment ont été choisis les lieux ? Sur le plan visuel, que souhaitait-il pour les décors du film ? Le spectateur ne peut pas s’en rendre compte, mais…les appartements, le balcon, des portions de toits ou même de rues ne sont-ils pas construits en studio ? Qu’en est-il et comment cette option s’est imposée ? Leur premier sujet était : comment faire la brume ? En VFX ou SFX ? Très vite, il a semblé évident qu’elle devait être réelle car en interaction permanente avec les acteurs, les décors, la lumière, la caméra. Une fois cette question réglée, ils se sont attelés à celle des rues. Décors naturels ou construits ? Qu’elle que soit la solution retenue, il fallait faire face à une échelle de décors extrêmement importante, il y a de nombreuses séquences dans les rues, on y passe beaucoup de temps, ça voulait donc dire beaucoup de rues différentes … Et qui dit brume physique dit presque obligatoirement tournage en studio. Une grande partie de l’action se situe dans un même immeuble, les personnages se déplaçant d’un appartement à l’autre… Se posait ensuite un double problème, la cage d’escalier et la connexion avec la rue extérieure. Principalement pour des questions de crédibilité, nous avons tourné les scènes de la cage d’escalier dans un véritable immeuble dont un des paliers (celui du couple âgé) a été reconstruit à l’identique en studio. Restait à trouver la rue où se trouverait notre immeuble. Sachant qu’elle aussi serait reproduite en studio, elle devait répondre à un certain nombre de critères : pas d’arbres, pas trop large, pas trop longue...pour ne pas cumuler les contraintes. Là encore, c’est Daniel qui l’a trouvée, rue Saulnier à Paris 9ème. On a très peu d’informations sur les personnages, aussi bien le jeune couple que celui plus âgé. Comment alors imaginer leurs intérieurs ? Au 2° étage, chez Mr Belkacem dont on ne voit l’intérieur qu’à travers la brume, tout se jouait dans la cuisine par laquelle arrive Romain Duris et dans le meublage des pièces parcourues à la recherche d’un masque à oxygène. La brume étant très opaque, pas de véritable problème de découverte. Au 3ème se trouve l’appartement du couple « héros », la mère est prof par télé-correspondance, divorcée et en charge de sa petite fille malade. Nous avons installé une découverte, une photo imprimée du véritable immeuble se trouvant en face du notre, dans la vraie rue Saulnier). Petit aparté lié à ces décors. Je tiens personnellement à remercier Didier Diaz, Pascal Bécu, Serge Thurot et toutes les équipes des Studios de Bry qui nous ont accompagné en tant que partenaires sur la fabrication et le tournage de ce film. La fameuse capsule qui protège la fille malade. Une réplique fidèle ? Une création ? Indépendamment des contraintes et difficultés techniques, nous lui avons imposé de tout construire et peindre en 10 jours ouvrés ! Sacré challenge que son équipe et lui ont relevé haut la main. En parallèle, il fallait aussi travailler sur les matières et accessoires intérieurs ainsi que sur les interfaces des moniteurs de contrôle et sur l’étanchéité de la bulle. Quels décors ou effets ont été réalisés ou intégrés en post-production ? Certaines rues, à peine visibles à travers ce brouillard, ont donc été construites en studio ? Daniel Roby a réalisé Dans la peau blanche et Funkytown, très remarqués dans son pays d’origine, peu ou pas vus en France. Comment l’avez-vous rencontré ? Sur ce film, qu’est-ce qui pour vous a représenté la plus grande difficulté ? De la préparation au dernier jour de tournage, votre meilleur souvenir ? Pour finir, et sans rapport avec Dans la brume, un film, un spectacle ou une exposition qui vous ait marqué récemment ? © Mars Films
Daniel est un professionnel pragmatique. Ne connaissant pas Paris, dès le début il nous a indiqué qu’il attendait de nous des propositions de rues et quartiers intéressants à filmer. Simplement, comme le savent tous les gens du métier, tourner à Paris ne peut se résumer à « intéressant ou pas ». La logistique et les autorisations administratives sont de réelles contraintes avec lesquelles notre département régie a du composer, avec talent et efficacité.
Au fur et à mesure des repérages, Daniel a précisé sa vision de la ville, un Paris contemporain et identifiable. Le 9ème arr. qui reste, en termes de bâti, un quartier cohérent mais varié (divers types de façades, en pierre de taille ou non), nous est rapidement apparu être un bon compromis. Indépendamment de ces questions de repérages assez classiques, le choix de tourner en studio a bien évidement orienté nos choix.
Du réalisme. Dès le premier rendez-vous, nous avons convenu avec Daniel que le réalisme, la justesse, l’évidence des décors étaient les seules options intéressantes. Dans la Brume est un film de genre, le premier film catastrophe français. Et pour qu’un film catastrophe fonctionne, il doit être ancré dans le réel. Le spectateur ne doit pas se poser la moindre question, ne doit avoir aucun doute. On est à Paris, dans un environnement évident, presque banal.
Bien joué ! Effectivement nous avons fabriqué beaucoup, beaucoup de décors en studio. Petit flash-back... Après avoir demandé à Guillaume Lemans d’écrire le scénario, Guillaume Colboc et sa société SECTION 9 ont lancé une étude de faisabilité du film, pilotée par Gregory Valais à la direction de production, avec mon ami Stanislas Reydellet comme chef décorateur.
Le vent, les changements de luminosité et de météo, la vie parisienne, les commerces…tous ces facteurs plaidaient pour reconstruire des rues en studio afin d’avoir une maîtrise totale de la voirie, des commerces, de la lumière et de la brume. Donc, avant même que je sois choisi comme chef déco, ce principe était déjà acquis.
Une fois le film lancé, nous avons organisé des repérages en vue de trouver un immeuble vide pour y installer à la fois les appartements de Mr Belkacem, de nos héros avec la bulle de la petite fille, et des deux personnes âgées, puisqu’il est bien précisé dans le scénario que ces trois appartements sont situés les uns au-dessus des autres.
Impossible de trouver un immeuble offrant cette configuration. J’ai donc proposé à Daniel Roby et à Gregory Valais de construire un appartement unique en le modifiant pour qu’il puisse « jouer » les trois appartements. Avec mes assistants et plus particulièrement Lilith Bekmezian, nous nous sommes donc attelés à les imaginer et les dessiner. En parallèle, pour des questions de praticité de tournage, la chambre de Sarah et sa bulle ont été fabriquées indépendamment de l’appartement, sur un autre plateau.
Ce fut vraiment un cas d’école de décor de cinéma : une vraie rue X à recopier en studio, une vraie cage d’escalier Y avec le palier du dernier étage à reconstruire, une base d’appartement elle aussi en studio et « jouant » trois décors différents.
Daniel est venu chez nous avec son expérience et son savoir-faire anglo-saxons. J’ai appris beaucoup à son contact, en particulier sur le concept de backstory et sur la précision et l’exigence que nous devons avoir sur les accessoires. Nous avons beaucoup travaillé ensemble sur les backstories de tous nos personnages et ainsi avons pu caractériser leurs différents intérieurs, meublés et accessoirisés par l’équipe de Nathalie Deschamps, ensemblière de grand talent avec qui j’aime particulièrement travailler.
Pour l’appartement du 5° étage dans lequel est installé notre couple âgé, nous avons modifié la cuisine et repeint l’appartement, nous avons enlevé quelques cloisons et ajouté les sous-pentes caractéristiques d’un dernier étage. Ont été également construits un balcon de 13 mètres et 17 mètres linéaires de toit parisiens installés face au balcon.
Le département décoration s’est installé dans les bureaux des studios. Tous les décors ont été fabriqués dans les ateliers, et tous, à l’exception des rues, ont été installés sur les plateaux de studios de Bry.
Si l’éventualité de construire ces décors à l’étranger a pu être évoquée en préparation, Gregory Valais et moi avons tout fait pour les maintenir en France.
Et je dois préciser que nos deux producteurs Nicolas Duval-Adachovsky (QUAD FILMS) et Guillaume Colboc (SECTION 9) ont fait preuve à notre encontre, dés début de la préparation et jusqu’à la fin du film, d’une confiance et d’une bienveillance exceptionnelles.
La bulle ! C’est comme ça que nous l’appelions, et c’est un sujet en soi, non ? Nous sommes partis de zéro et avons essayé d’imaginer ce qu’un labo médical, confronté à l’apparition et au développement d’une maladie de ce type, pourrait inventer. Nous voulions un module connectable, raccordable et avons cherché l’inspiration auprès des bases sous-marines et des modules spatiaux.
Clovis Weill, 1er assistant dessinateur et en charge de ce vaste dossier, a exploré de nombreuses pistes esthétiques. Une fois la forme d’un tube validée, à l’intérieur nous avons imaginé une sorte d’appartement miniature. Chaque sujet (lumières, sas, sanitaires, ventilation…) nécessitait réflexion et invention. Une fois les principes définis, Stéphane Guerreau, notre chef constructeur « studio » chargé du bloc « appartements et découverte » s’est attaqué à la construction de la bulle.
Et aussi inventer un système d’apport/filtration/renouvellement d’air spécifique, pour permettre à tout le monde de respirer dans la bulle et éviter l’apparition de buée / condensation. Au final ce sont plus de 25 personnes qui auront été mobilisées sur ce sujet pendant ces 10 journées infernales …
La quasi-totalité de la brume est donc réelle, elle est créée en numérique uniquement quand elle n’est pas en interaction avec les comédiens, donc sur la plupart des establishing shots, ce qui est déjà un vaste chantier !
Coté décor, Bruno Maillard (superviseur VFX) et son équipe ont étendu la plupart de nos décors construits en studio, et ont réalisé un travail remarquable.
Oui ! Ces scènes de rues « à peine visibles » ont représenté un travail énorme ! Un travail énorme ! Quelques chiffres : un plateau de 8000 m2, dans un hangar de Saint-Ouen l’Aumone, plus de 350 mètres linéaires de façades construites (RDC + 1er étage), pas loin de 2000 jours-hommes de travail et finalement autour de 700 000 € HT de budget pour ce décor…
C’est là encore Clovis Weill qui était en charge de la conception, des dessins et plans de ces rues, aidé par Ombeline Lévêque. Le sujet était complexe. Si nous devions recopier au mieux la rue Saulnier, il nous fallait aussi donner l’impression de variété pour les autres rues, tant dans leur échelle (largeur, profondeur) que dans les bâtiments, la voirie et les façades des boutiques. C’est Jacques Oursin, chef constructeur, et son équipe qui ont été en charge de la construction de ce décor immense.
En passant un casting « Déco ». Stanislas Reydellet avait réalisé l’étude de faisabilité mais quand le film a été lancé, il n’était pas disponible. La production a fait un casting de chefs décorateurs, je crois que pas mal de mes collègues ont été approchés. Pour diverses raisons, j’ai été choisi. J’en profite pour saluer Denis Seiglan, approché lui aussi, qui a été d’une grande gentillesse et d’une grande élégance.
Nous avons rencontré de nombreuses difficultés, en terme de recrutement, sur le plan technique, les recherches de matériaux et accessoires…
La principale aura été de respecter au mieux le budget alloué ainsi que le planning serré. Tous mes collègues le savent, on n’a jamais assez d’argent, même quand le budget déco est conséquent, ce qui était indéniablement le cas de Dans la Brume.
Mais avec le temps, les difficultés disparaissent pour ne laisser que le souvenir d’une équipe déco de grande qualité, tant en termes d’individus que de collectif, et d’une très belle équipe de tournage.
Rares sont les projets sur lesquels on ressent une telle cohésion et une telle envie de qualité. Le travail avec mon ami Pierre-Yves Bastard, chef opérateur, a été d’une facilité et d’une fluidité exceptionnelles, le département régie avec Greg Bruno, l’équipe costumes de Nathalie Benros, tous ont participé, au mieux, à la fabrication de ce film ambitieux et compliqué.
Ma relation avec Daniel Roby a été elle aussi rare, riche et très forte. Son équipe mise en scène avec à sa tête Bonnie Pires a été solide et efficace, amicale et inébranlable.
Enfin, je l’ai déjà dit mais l’énergie, la pugnacité et l’amitié de Gregory Valais, ainsi que la confiance et la bienveillance de nos deux producteurs, Nicolas Duval et Guillaume Colboc, ont été essentiels à la réussite de notre travail.
Oulala… Au fil de cette interview, je me replonge dans cette aventure. Nombreux sont les souvenirs forts… comme très souvent, le meilleur moment reste celui ou accompagné des chefs d’équipe de mon département, je livre le décor au réalisateur.
Quand vous voyez l’émerveillement dans les yeux d’un réalisateur qui découvre, enfin, la réalité d’un concept sur lequel vous travaillez ensemble depuis de nombreuses semaines, c’est un moment très fort émotionnellement. Ce fut le cas à plusieurs reprises sur Dans la brume, d’abord quand nous avons livré le bloc « appartements » puis les décors de rues.
Le dernier spectacle de Bartabas, pour sa maitrise, sa liberté et sa grâce. C’en est troublant.
L’expo de Damian Hirst à Venise, incroyable par son concept et sa démesure, il s’est fait ses décors de film « en vrai », un regard pertinent et original sur l’art, son histoire et son appropriation.
Phantom thread de P.T. Anderson. Quand toutes les sections (mise en scène, acteurs, costumes, décors, lumière, …) d’un orchestre jouent précisément dans la même direction artistique, quand le groupe devient plus fort que la somme de ses composantes, cela donne un résultat d’une beauté unique.
(et merci à Arnaud Roth pour ses photos !)